Des plantes tinctoriales médiévales uniques découvertes à Bruxelles et à Malines

16/01/2025
L'archéobotaniste Lien Speleers montre une plante de pastel séchée et un échantillon de textile teint avec du pastel (reproduction moderne). (c) Institut des Sciences naturelles


Lors de fouilles à Bruxelles et à Malines, des archéologues ont découvert des traces de gaude, de garance et de pastel des teinturiers, les trois plantes tinctoriales les plus importantes du Moyen-Âge. Ces plantes jouaient un rôle crucial dans la production textile, mais les traces archéologiques de leur utilisation sont rares. « C’est la première fois que nous rencontrons ensemble les trois plantes tinctoriales les plus importantes en Belgique, » déclare l’archéologue Lien Speleers.

Siska Van Parys

Les plantes tinctoriales gaude (Reseda luteola), garance (Rubia tinctorum) et pastel (Isatis tinctoria) étaient indispensables dans l'industrie textile médiévale. « La gaude produisait du jaune, la garance du rouge et le pastel du bleu, mais les techniques pour obtenir ces couleurs étaient très différentes », explique Lien Speleers, archéologue à l'Institut des Sciences Naturelles. Le pastel en particulier nécessitait des techniques spécialisées, réalisées par les teinturiers de bleu. « Ces trois plantes formaient la base des couleurs primaires. Elles étaient souvent combinées pour créer d'autres teintes, comme le vert, l'orange, le violet et même le noir. »

Dessin botanique de gaude (Reseda luteola) - Thomé 1886
Dessin botanique de pastel (Isatis tinctoria) - Bilder ur Nordens Flora, Carl Axel Magnus Lindman (1917-1926)
Dessin botanique de garance (Rubia tinctorum) - Rubia tinctorum A curious herbal, partie 2, E. Blackwell (1739)

Dans une nouvelle étude, Speleers décrit avec ses collègues de l'Institut royal du Patrimoine artistique (IRPA), d'urban.brussels, du Musée Art & Histoire, du Musée Hof van Busleyden à Malines et de la Vrije Universiteit Brussel, la découverte archéologique de ces plantes tinctoriales en Belgique.

Le long de la rivière

 

Le site de fouilles de Parking 58 avec le mur de quai en pierre (c) urban.brussels

 

Les découvertes proviennent des anciens lits de rivières fouillés sur deux sites archéologiques : le Parking 58 à Bruxelles et la Zakstraat à Malines. Les deux villes étaient au Moyen Âge des centres de production textile. Les ateliers de teinturiers étaient situés le long des rivières, qui fournissaient l'eau nécessaire au processus de teinture. À Bruxelles, le site se trouve près du port historique le long de la Senne, tandis que les fouilles à Malines ont eu lieu à la hauteur de l’ancien Melaan, un cours d'eau historiquement lié aux teinturiers.

Morceaux contemporains de textile teints avec de la garance, de la gaude et du pastel (c) Institut des Sciences naturelles
Les couches fluviatiles sur le site de fouilles de Parking 58 (c) urban.brussels

Les découvertes proviennent de couches fluviatiles datant du Xe au XVe siècle. Les archéologues ont trouvé plusieurs milliers de restes de gaude, de garance et de pastel. « La gaude et la garance avaient déjà été trouvées en Belgique par le passé, mais la découverte du pastel est une première », explique Lien Speleers. « Des restes avaient déjà été découverts dans les pays voisins, et nous savions déjà, grâce aux sources historiques, que le pastel était utilisé pour obtenir de la teinture bleue, mais c’est la première fois que nous en retrouvons des preuves archéologiques. Cela nous donne enfin des preuves tangibles. » Les fouilles à Bruxelles montrent également que les activités de teinture débutèrent au plus tard au milieu du XIIe siècle, bien avant ce qu’on trouve dans les sources historiques.

À gauche : Teindre la laine, Des Proprietez des Choses de Bartholomaeus Anglicus, British Library Royal MS 15.E.iii, folio 269 (datant de 1482).  En haut à droite : Restes de garance, pastel et gaude provenant du site de Parking 58. En bas à droite : Garance (Rubia tinctorum) (c) Institut des Sciences naturelles

Les déchets des teinturiers

« Les restes sont probablement des déchets de teinturiers qui travaillaient le long de la rivière », explique Speleers. « Les rivières étaient essentielles pour la teinture. Elles fournissaient non seulement de l’eau, mais constituaient également un endroit pratique pour déverser les déchets. » Sur le site du Parking 58, plus de 70 échantillons ont révélé une abondance de graines de gaude et de fragments de racines de garance, accompagnés par-ci par-là de petits fruits de pastel. À Malines, les dépôts fluviaux ont montré un schéma similaire, avec un mélange de restes de plantes tinctoriales et d’autres déchets.

L'archéobotaniste Lien Speleers examine des fragments de plantes tinctoriales sous le microscope binoculaire (c) Institut des Sciences naturelles
Fragments de racines de garance (Rubia tinctorum) provenant de Parking 58 sous le microscope binoculaire (c) Institut des Sciences naturelles

Les preuves archéologiques de plantes tinctoriales sont rares, car les feuilles et les racines qui étaient principalement utilisées pour la teinture se conservent mal. C’est particulièrement le cas pour le pastel, dont les feuilles étaient fermentées pour extraire l’indigotine. Pourtant, les chercheurs ont découvert des petits fruits de pastel dans les échantillons, probablement récoltés accidentellement lors de la moisson. « Il s’agit de la première preuve archéologique de pastel en Belgique », affirme Speleers. « Cela rend cette découverte vraiment exceptionnelle. »

L’étude est publiée dans Vegetation History and Archaeobotany.

 

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