Chasse aux dinosaures dans le Wyoming : « Camarasaurus » Morris
La troisième campagne de fouilles dans le centre du Wyoming est un succès complet pour l'Institut des Sciences naturelles. Trois dinosaures de la fin du Jurassique ont été trouvés. A première vue ce sont : un jeune Camarasaurus, un Dryosaurus et peut-être un Brachiosaurus. Après un été complet de fouilles et de plâtrage, les deux premiers sont prêts à être expédiés à Bruxelles où nous les préparerons, les scannerons, les étudierons (entre autres pour préciser leur attribution) et les installerons pour le long terme.
Dévouvrez notre série de vidéos.
« Voici l'ado », plaisante le paléontologue belge et chef d'expédition Pascal Godefroit (IRSNB) en nous faisant visiter le site de Pine Pit. En un mois, son équipe de quatre personnes a déjà découvert environ la moitié de ce qui semble être un jeune Camarasaurus de 10 à 12 mètres de long et l'a baptisé "Morris". C'est à l'équipe de secours de cinq personnes, dont je fais partie, qu'il revient de couper, de broyer, de ciseler, de gratter, de brosser, de plâtrer et de hisser hors du site une autre centaine de fossiles de ce « long cou » aux dents typiques en forme de cuillère.
À gauche de ce jeune adulte sauropode (dinosaure à long cou) se trouve un spécimen qui ressemble à un Dryosaurus, un petit dinosaure ornithopode, lointain parent de nos Iguanodons de Bernissart. Et à droite, une créature ressemblant à un Brachiosaurus, également à long cou et l'un des plus grands animaux terrestres jamais vus : plus de 20 mètres de long, l’équivalent de quatre étages de haut, pesant environ 30 tonnes et défiant les limites de ce dont l'évolution est capable. L'os pubien, une omoplate et une vertèbre que nous avons déjà mis au jour sont en effet énormes et très bien conservés. La saison prochaine, nous aurons besoin de nombreuses mains, c'est clair.
Le siltstone dur comme de la pierre et le grès plus granuleux sont les « win-for-life » dans lesquels nous pouvons gratter pour trouver des fossiles : une activité très addictive!
Nous sommes dans la formation Morrison, mondialement connue, une strate géologique avec des vagues de collines de couleur beige, grise et rouge. Cette formation est présente dans treize États américains, mais principalement dans le Wyoming et le Colorado. La couche dans laquelle nous travaillons date d'environ 150 à 155 millions d'années (le Kimméridgien), soit la fin du Jurassique. Morrison a été formé par les nombreuses petites rivières qui s'écoulaient des précurseurs des Montagnes Rocheuses, en transportant du limon et du sable.
Depuis le sommet de notre colline creusée - on dirait le cratère d'un mini-volcan - j'essaie d'imaginer des troupeaux de longs cous de différentes formes et tailles se déplaçant lentement dans une plaine couverte de conifères, d'araucarias, de ginkgo, de prêles et de fougères. Ils traversent de nombreux ruisseaux et lacs pour atteindre une zone de végétation plus fraîche. Il s'agissait d'une plaine inondable, donc en cas de crues soudaines, certains des animaux morts juste avant ou surpris par la force de la nature ont dû être rapidement recouverts de sédiments et donc fossilisés au fil du temps. La couche d'argile grise et molle que l'on gratte avec un couteau à huîtres est l'ancien lit de la rivière, le siltstone dur comme de la pierre et le grès plus granuleux qui le surmontent sont les « win-for-life » dans lesquels nous pouvons gratter pour trouver des fossiles. Une activité très addictive!
Investissement
Les fossiles sont également de plus en plus le ticket gagnant du marché commercial et des investisseurs. Une petite entreprise allemande avec laquelle nous travaillons est active depuis vingt ans dans et autour du Powder River Basin, comme on appelle ce bassin. Ces chasseurs de fossiles de bonne foi passent un accord avec un propriétaire de ranch pour creuser sur son terrain pendant l’été. Les États-Unis sont l'un des rares pays où cela est encore possible et autorisé.
Ils espèrent que la fouille donnera quelque chose de vendable. Les carnivores sont particulièrement populaires. « Je détiens le record du monde de déterrage d'allosaures : huit », dit l'un des Allemands, toujours vêtu d'un chapeau marron, d'une chemise à carreaux, d'un short et de chaussettes blanches. Nous comptons sur leur travail de reconnaissance. Tout a commencé près d'un buisson de genévriers : ils y ont trouvé un Allosaurus, le « T. rex de l'ère jurassique » presque entièrement dégagé par l'érosion ; quelques étés plus tard, un "Dan" ressemblant à un Diplodocus a suivi. Il sera préparé pour la Galerie des Dinosaures du Muséum des Sciences naturelles dans les deux prochaines années. Un autre Allosaurus, qui a maintenant atterri en Corée du Sud a aussi été mis au jour. Il a été suivi par un Apatosaurus, et cette année, ils peuvent ajouter à leur liste un autre petit carnivore et des morceaux d'un animal ressemblant à un Diplodocus.
Pine Pit, au pied d'un pin, affiche également un palmarès impressionnant : en 2014, l’Allosaurus Arkhane, acquis par un propriétaire privé et exposé au Muséum depuis 2019 y a été découvert. Juste en dessous se trouvait un Camarasaurus adulte, et au cours de cette campagne 2022, nous avons atteint la couche où se trouvent le « Camarasaurus adolescent », le « Dryosaurus » et le « Brachiosaurus ». Un peu plus loin se trouve un autre petit carnivore. Vous suivez toujours ? Le terrain est un véritable Eldorado paléontologique.
Les sauropodes du Jurassique illustrent la grande période d'épanouissement des dinosaures.
Tous les squelettes qui ont été mis au jour ici sont très complets et la qualité des fossiles est exceptionnelle. Elle nous donne la possibilité de reconstituer l'anatomie, l'évolution, la diversité des espèces dans un écosystème vieux de 155 millions d'années. Et très probablement la cause de leur mort. Ces animaux ont-ils été emportés par la même crue et les squelettes se sont-ils retrouvés coincés dans un méandre de la rivière ? Ou ont-ils été attaqués auparavant par les redoutables prédateurs Allosaurus ou Ceratosaurus ? Pour l'instant, nous ne pouvons que faire des suppositions.
L’âge d’or
Les os noirs de Morris qui passent entre nos mains sont les témoins pétrifiés d'un âge d'or invisible au cours des quelque 170 millions d'années où les dinosaures ont peuplé la terre - sans compter les dinosaures d'aujourd'hui, les oiseaux. Les dinosaures, le groupe de reptiles terrestres dont les pattes se trouvent sous le corps et non à côté, sont apparus au Trias supérieur, il y a 230 millions d’années. C'est l'âge des roches rouges que nous voyons si joliment éclairées au coucher du soleil et qui ont servi de décor à de nombreux westerns.
A cette époque les continents sont alors rassemblés en un seul bloc - la Pangée - et le climat est particulièrement chaud et aride. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les tout premier dinosaures; on en retrouve la trace dans les formations d’Ischigualasto en Argentine et de Santa Maria, au Brésil. Pendant quelque 20 millions d’années, les dinosaures se diversifient tranquillement, mais ce sont les archosaures pseudosuchiens, vaste groupe auquel appartiennent les crocodiles actuels, qui règnent en maîtres sur les continents au cours du Trias supérieur. Ces derniers sont cependant très durement impactés par la grande extinction de masse à la limite Trias-Jurassique, il y a 201 millions. Seule la lignée des crocodiles, très discrète à l’époque, passe le cap et les pseudosuchiens laissent très rapidement la place aux dinosaures.
En dix millions d'années - nous sommes maintenant au Jurassique – les dinosaures sont devenus incontournables, avec un nombre sans précédent d'espèces différentes. Ils sont également devenus plus grands et se sont étendus sur beaucoup plus d'habitats. Les sauropodes, ces longs cous ventrus avec leurs jambes en forme de piliers et leurs têtes ridiculement petites contenant des dents en forme de peignes, illustrent le mieux cette période de prospérité. Ils descendent des longs cous plus petits du Trias, des prosauropodes comme le Plateosaurus, qui marchaient encore sur deux pattes. Ici en Europe, ces platéosaures étaient aussi communs que les vaches aujourd'hui. En Suisse, par exemple, on trouve des fossiles de platéosaures en abondance. Un spécimen, appelé "Ben", est exposé dans la Galerie des Dinosaures à l'Institut des Sciences naturelles.
Mais quelle était la formule anatomique du succès de ces animaux surdimensionnés comme le brontosaure, le brachiosaure et consorts ? Quels sont les atouts de l'évolution qui ont permis aux sauropodes de survivre aussi longtemps - jusqu'à la fin du Crétacé, il y a 66 millions d'années ? Trois adaptations. Avec leur long cou, ils pouvaient engloutir d'énormes quantités de feuillage sans avoir à faire un pas. Deuxièmement, une croissance rapide. De la taille d'un hamster, ils sont devenus en 30 ans des super géants de la taille d'un avion.
Et, troisième facteur de réussite, ils avaient développé un système respiratoire très efficace : de nombreux os du cou, de la poitrine et de la queue contenaient des cavités dans lesquelles se trouvaient des sacs d'air. Ces poches se remplissaient lors de l’inspiration. Lors de l'expiration, l'air contenu dans tous ces sacs s'écoulait dans les poumons. Ils fonctionnaient donc comme un soufflet et apportaient plus d'oxygène pour maintenir le métabolisme de ce méga corps. J’y pense en creusant, avec le paléotechnicien Karim Ben Larbi, une tranchée autour d'une vertèbre. C’est un os fossilisé très lourd, mais avec toutes ces cavités, il devait être assez léger lorsque l'animal était vivant.
Le dur apprentissage du métier
À tous ceux qui ont déjà rêvé de faire des fouilles : oui, c'est un rêve. Mais dans le Wyoming, il faut supporter une chaleur de plomb - une quarantaine de degrés Celsius presque tous les jours au-dessus du grès pâle réfléchissant. Et il y a les positions inconfortables. Je ne suis pas des plus souples, alors m'accroupir pendant deux heures sur la "pizza" - un grand bloc rond où se trouvent toutes sortes "d'ingrédients", des côtes aux omoplates en passant par le crâne - et faire les mêmes mouvements répétitifs est un véritable entraînement.
Il faut aussi faire attention à ne pas casser un morceau de côte avec les grosses chaussures de montagne. Et que dire de la superglue dont nous versons plusieurs litres par semaine sur les fossiles exposés pour les renforcer. Dans un moment d'inattention, j'ai laissé une bonne giclée couler sur mon gant, brûlant mes doigts et les collant à l'intérieur. Mais le seau de plâtre que nous nous apprêtions à verser autour d’un ossement de patte est venu à ma rescousse en m’offrant une seconde peau blanche !
Cette méthode de plâtrage n'a pas changé depuis le 19e siècle. Elle a été mise au point lorsque la trentaine de squelettes des iguanodons de Bernissart ont été extraits de la mine de charbon entre 1878 et 1881. Sans couche protectrice de plâtre, les précieux fossiles se sont visiblement effrités à cause de la pyrite, un minéral de couleur dorée qui se cache dans les os des iguanodons et qui se dilate comme une tumeur sous l'influence de l'air et de l'humidité. De plus, le gypse, le jute et l'eau sont disponibles partout dans le monde, même dans les régions les plus désolées.
L'année où les mineurs de Bernissart ont fait cette découverte d’envergure mondiale a également été une année riche dans le Wyoming et le Colorado : pour la première fois, des squelettes complets de grands dinosaures ont été mis au jour. Pendant des années, deux paléontologues américains rivaux, Edward Drinker Cope et Othniel Charles Marsh, ont payé des équipes de chasseurs de fossiles pour qu'ils envoient le plus d'os possible. Les équipes s'espionnaient et se sabotaient mutuellement. Dans une course farfelue à la publication, les deux ennemis jurés ont décrit le plus rapidement et le plus grand nombre d'espèces - souvent les mêmes animaux sous des noms différents - ce qui a entraîné un désordre taxonomique. Mais cela a marqué la naissance des dinosaures emblématiques du Jurassique, de l’apatosaure au stégosaure en passant par l’allosaure.
Camarasaurus est jusqu'à présent le dinosaure le plus fréquemment retrouvé dans le Morrison, et donc le plus connu. Le fait que nous ayons devant nous un spécimen jeune, presque complet et magnifiquement conservé le rend encore plus spécial.
Bourdonnement au-dessus du site
Le site est divisé en trois parties : d'abord la "pizza", où se trouve tout le haut du corps de Morris. Un peu plus loin, il y a deux fémurs. Et plus près du bord de la colline, le reste du bas du corps est remonté à la surface : la ceinture pelvienne et tous les os qui s'y rattachent (regardez la vidéo avec l'ingénieur paléontologue Xavier Valentin), le tibia et le péroné, les os du pied et les griffes. Camarasaurus avait trois grandes griffes sur ses pattes arrière et une sur ses pattes avant.
Comment garder une vue d’ensemble de cet enchevêtrement d'os ? Chaque paquet et chaque bloc de fossiles reçoit un numéro et est brièvement décrit dans un carnet : "MOR22 - 11, 12, 13", par exemple, sont trois côtes que nous avons trouvées sur le côté de "la pizza". L'équipe 1 a également réalisé un dessin d'ensemble du site. Enfin, Aurore Mathys, membre de l'équipe, réalise tous les deux jours des photos haute résolution du site avec son drone (regardez la vidéo). De cette façon, nous reconstituons la progression des fouilles, déterminons la position exacte des ossements et réalisons un modèle 3D du site.
En voyant les collines du Powder River Basin disparaître au loin dans le rétroviseur, j'ai mal. J'ai appris à aimer ce paysage sans fin. Pour les habitants de l'État le moins peuplé des États-Unis, c'est une oasis quotidienne qu'ils traversent avec leurs camionnettes et leurs quads. Ils vivent de culture et d’élevage. Une vie simple entre les enfants, l’église, le pub, la chasse, la pêche et le rodéo. « Le stress, nous l’avons laissé de côté il y a longtemps » , m’a expliqué l'un des trois shérifs que j'ai croisés. Il vit à 10 km de son plus proche voisin.
Alors existe-t-il un lien entre la géologie et la tranquillité d'esprit ? Fouiller vous fait prendre du recul, vous apprend à penser dans des échelles de temps vertigineuses, et relativise vos propres soucis - et finalement vous-même en tant qu'être humain.
La team 2022 était composée de:
Pascal Godefroit (paléontologue IRSNB), Mathys Rotonda (biologiste), Filippo Bertozzo (paléontologue IRSNB), Stijn Pardon (graphiste et vidéaste IRNSB), Xavier Valentin (ingénieur paléontologue Université de Poitiers), Karim Ben Larbi (paléotechnicien Raphus), Aurore Mathys (archéologe IRNSB), Thierry Hubin (photographe IRNSB) et Reinout Verbeke (communication scientifique IRSNB)