Les espèces exotiques envahissantes : comment répondre à l'une des cinq principales causes de la crise de la biodiversité?
Le 4 septembre 2023, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a publié son nouveau Rapport d’évaluation sur les espèces exotiques envahissantes et leur contrôle. Ce rapport passe en revue les plus récentes données, analyses et options de gestion disponibles sur les espèces exotiques envahissantes. Il montre que la solution au problème des invasions biologiques ne se résume pas à la seule éradication technique des espèces mais bien que l'éventail des actions est beaucoup plus large et nécessite un fort engagement et une large collaboration des scientifiques, des pouvoirs publics, des acteurs de terrain et du public.
Le rapport a été examiné et approuvé lors de la 10e session plénière de l'IPBES, qui s’est tenu du 28 août au 2 septembre à Bonn, en Allemagne (#IPBES10). Plus de 140 gouvernements ont ainsi collaboré activement afin de à renforcer l’interface science- politique pour la biodiversité́ et les services écosystémiques.
IPBES est souvent décrit comme "GIEC de la biodiversité". En effet, il est l'organe scientifique et politique mondial chargé d’assister les gouvernements dans leurs prises de décision, en leur soumettant une analyse des connaissances récentes disponibles. En Belgique, le point focal national de l'IPBES est assuré par la Plate-forme belge pour la biodiversité, l’interface science-politique nationale belge, soutenue par La Politique Scientifique Fédérale (BelSPO), et hébergée par cinq organisations : BelSPO, Sciensano, l’IRSNB, INBO, et le DEMNA (SPW). Les activités du point focal consistent, entre autres, à faire participer des experts belges à la rédaction des rapports, à faire les parties prenantes belges au programme de travail et aux activités de l'IPBES, et à présider la délégation belge lors des sessions plénières.
Options politiques
Les espèces exotiques envahissantes sont l'un des cinq principaux facteurs directs de perte de biodiversité à l'échelle mondiale, avec le changement d’utilisation des terres et des mers, l'exploitation directe des organismes, le changement climatique et la pollution. L'objectif 6 du cadre mondial de la biodiversité Kunming à Montréal, récemment adopté, consiste à « éliminer, minimiser, réduire et/ou atténuer les impacts des espèces exotiques envahissantes sur la biodiversité et les services écosystémiques ». Pour y répondre, et en s'appuyant sur les évaluations précédentes de l'IPBES (notamment l'Évaluation mondiale de 2019), 86 experts de premier plan de 49 pays ont travaillé sur le rapport sur les espèces exotiques envahissantes pendant quatre ans, dont 2 experts belges.
Sur base des plus récentes données et connaissances disponibles, le rapport répond à la nécessité d'aider les décideurs à comprendre l'état actuel et les tendances des espèces exotiques envahissantes, leurs impacts, leurs causes, leur gestion et les options politiques qui permettent de relever efficacement les défis qu'elles posent.
Plus précisément, le rapport aborde les aspects suivants :
- Évaluation de la diversité des espèces exotiques envahissantes qui influent sur la biodiversité et les services écosystémiques.
- Analyse de l’étendue de la menace que posent ces espèces pour les diverses composantes de la biodiversité et des services écosystémiques, y-compris les répercussions sur la biodiversité des milieux agricole, la sécurité alimentaire et sanitaire et la préservation des moyens de subsistance humaine.
- Identification des principales causes et voies d’introduction et de propagation de ces espèces, d’un pays à l’autre et à l’intérieur des pays.
- Soulignement de l’état et les tendances à l’échelle mondiale des impacts du phénomène ainsi que des mesures de gestion prises, en tenant compte des différents systèmes de connaissances et de valeurs.
- Évaluation de l’efficacité des mesures actuellement prises en matière de contrôle internationales, nationales et infranationales et les options politiques associées qui pourraient être adoptées pour prévenir, éradiquer et contrôler la propagation des espèces exotiques envahissantes, en mettant l’accent sur les réponses possibles.
L'équipe belge 'IPBES 10'
La délégation belge à la 10ème réunion plénière de l'IPBES était composée de Hilde Eggermont (Belgian Biodiversity Platform/BELSPO & IRSNB ; point focal national de l'IPBES et chef de délégation), Anna Heck (Belgian Biodiversity Platform/BELSPO & INBO ; point focal national secondaire de l'IPBES), Hendrik Segers (point focal national pour la Convention sur la diversité biologique/IRSNB ; négociateur pour la Belgique lors de la discussion de l'évaluation), Els Van de Velde (Department Omgeving), Bart Rymen (BELSPO), Marie Baeckelandt (point focal national pour la Convention sur la diversité biologique/IRSNB) et Sonia Vanderhoven (Belgian Biodiversity Platform/DEMNA).
Témoignages
Dr. Sonia Vanderhoeven (co-auteure du rapport), Belgian Biodiversity Platform/ Service public de Wallonie (DEMNA) - « Le déclin de la biodiversité, l'érosion des services écosystémiques et la diminution de la qualité de vie qui en résulte sont une réalité à l’échelle planétaire, comme en témoignent les évaluations globales et régionales de l'IPBES. Le nouveau rapport de l’IPBES aborde une des cinq principales causes de cette situation que sont les espèces exotiques envahissantes. Sur base des plus récentes données et connaissances disponibles, il répond à la nécessité d'aider les décideurs à comprendre l'état actuel et les tendances des espèces exotiques envahissantes, leurs impacts, leurs causes, leur gestion et les options politiques qui permettent de relever efficacement les défis qu'elles posent. »
Tim Adriaens, Instituut voor Natuur-en Bosonderzoek (Flandre) - "Le rapport de l'IPBES présente des données concrètes sur l'impact mondial des espèces envahissantes sur la biodiversité. La migration du biote à travers la planète, conséquence directe du commerce mondial et des voyages, entre autres, vient s'ajouter à la perte d'habitat et au changement climatique. Elle est également amplifiée par ce dernier et continue de s'accroître. Les chiffres sont tels qu'en tant que citoyen, on peut se décourager. Même en Flandre, avec ses espaces ouverts fragmentés et son vaste réseau de transport, les espèces envahissantes pèsent lourdement sur la qualité de la nature, qui est déjà très sollicitée. La lutte contre les espèces envahissantes est malheureusement devenue le quotidien de nombreux gestionnaires de la nature. Elle coûte également très cher. Toutefois, le rapport est également porteur d'espoir. Il présente des options politiques réalistes pour une approche à la source et de nombreux exemples de bonnes pratiques et de projets. La législation européenne crée un cadre à cet effet, que la Flandre a transposé dans sa législation sur la nature. La sensibilisation de la société est une condition préalable. Les gens eux-mêmes peuvent faire beaucoup pour prévenir les problèmes liés aux espèces envahissantes. Planter des végétaux de manière responsable, ne pas jeter de déchets de jardin ou d'aquariums dans la nature, respecter la biosécurité dans les loisirs aquatiques. Et pourquoi ne pas télécharger l'une des nombreuses applications permettant de signaler la présence d'espèces envahissantes, ou aller aider à la lutte dans la réserve naturelle au coin de la rue ? Ce ne sont là que quelques mesures, mais elles font une grande différence au niveau local."
Arnaud Jacobs, Secrétariat scientifique national des espèces exotiques envahissantes & IRSNB – « L'évaluation thématique de l'IPBES sur les espèces exotiques envahissantes (EEE) et leur contrôle est un travail remarquable de compilation des connaissances les plus récentes sur les invasions biologiques et des recommandations politiques associées. Ce rapport constitue une étape majeure pour la prise de conscience de l'urgence de mettre en œuvre des mesures contre les EEE. Ce rapport souligne la nécessité d'une coordination et d'une coopération pour faire face de manière efficace aux invasions biologiques. Ce principe a déjà été formalisé en Belgique en 2019 par un accord de coopération entre l’état fédéral et les régions relatif à la prévention et à la gestion de l’introduction et de la propagation des EEE préoccupantes pour l'Union européenne. Par ailleurs, l’évaluation montre une fois de plus à quel point les mesures préventives sont essentielles et les plus rentables dans la lutte contre les EEE, soulignant l'importance de la mise en œuvre du plan d'action national belge contre l'introduction et la propagation des EEE, qui a été adopté en 2022. Le rapport souligne aussi l'importance d'un effort collectif dans tous les secteurs d’activité pour contrer la menace des invasions biologique. Cette implication de nombreux acteurs constitue d’ailleurs un pilier essentiel du plan d'action national. Enfin, les experts montrent que les efforts actuels devront être davantage renforcés si l'on veut éviter une augmentation exponentielle de l'impact des EEE et de leurs coûts, qui pourraient être multipliés par 4 tous les 10 ans. Des moyens accrus seront donc certainement nécessaires en Belgique pour protéger la biodiversité face aux invasions biologiques. »