Des géologues belges testent des robots miniers

21/03/2024
Géologue Giorgia Stasi dirige le bras robotique avec des électrodes vers la paroi rocheuse. © Siska Van Parys, Institut des Sciences naturelles

Des géologues de l’Institut des Sciences naturelles se sont aventurés sous terre, dans l’ancienne mine de Mežica en Slovénie. Pendant une semaine, ils y ont testé les capteurs de leur robot minier bio-inspiré, capable de détecter de fines veines de minerais dans la roche. "Une révolution technologique est en cours dans le secteur minier."

Siska Van Parys

Les mineurs du futur

Je rencontre Christian Burlet, géologue à l’Institut des Sciences naturelles. Il veut me parler d’un projet minier européen auquel il participe avec sa collègue géologue Giorgia Stasi. Quand je pense à l'exploitation minière, des mots comme « sale », « lourd », « malsain » et « d'autrefois » me viennent à l'esprit. Je ne comprends donc pas immédiatement ce que Christian peut y trouver - je le vois plutôt comme un inventeur, un génie de la technologie. Il pourrait fabriquer à l’aide d’une imprimante 3D et d’un tas de fils électriques une nouvelle machine capable d’aller sur Mars ou dans les profondeurs des fonds marins. Je partage mes pensées avec lui.  « Tu n'es pas la seule », me rassure-t-il. « La plupart des gens ont une idée fausse de ce que représente aujourd’hui l'exploitation minière. C'est un secteur qui est en pleine révolution technologique. Et c'est à cela que nous voulons contribuer : à la mine du futur. »

Nous voulons développer des robots capables de creuser des galeries de manière autonome, de sélectionner les minerais intéressants en cours de route, puis de les ramener à la surface.

- Christian Burlet, Institut des Sciences naturelles -

Les téléphones et les ordinateurs portables, les voitures électriques, les éoliennes et les panneaux solaires contiennent tous des métaux extraits des mines. « Actuellement, nous importons la grande majorité de nos matières premières critiques de l'extérieur de l'Europe. Mais ce n'est pas parce que nous ne les avons pas ici. Les gens ne s'en rendent pas compte, mais il y a tout un stock de métaux juste sous nos pieds ! », poursuit Christian Burlet avec passion. « Certains se trouvent dans de petites mines abandonnées et inondées, dont l’exploitation n’est pas rentable avec les méthodes actuelles. Il faut donc trouver un moyen d'extraire les minerais de manière précise, avec le moins de déchets possible, dans des conditions sûres et avec un impact minimal sur l'environnement. Nous ne sommes pas encore prêts pour cela, mais des projets comme le nôtre tentent de préparer le terrain. » Et à quoi alors ressemble la mine du futur ? « Notre projet s'appelle ROBOMINERS : ça le résume assez bien. Nous voulons développer des robots capables de creuser des galeries de manière autonome, de sélectionner les minerais intéressants en cours de route, puis de les ramener à la surface. Dans notre mine, il y aura une multitude de petits robots, et plus aucun être humain ne devra aller sous terre. »

La mine de Mežica est un endroit idéal pour tester les capteurs du robot minier © Siska Van Parys, Institut des Sciences naturelles. 

Pas de passage

Deux semaines plus tard, c'est le moment. Nous partons en Slovénie pour la dernière grande étape du projet : tester les capteurs dans une vraie mine. Christian Burlet et Giorgia Stasi sont déjà sur place et viennent nous chercher à l'aéroport de Ljubljana. « C'est vraiment excitant », commence Giorgia, pendant qu'elle nous aide à charger nos valises dans le coffre. « Jusqu'à maintenant, nous n’avions testé nos instruments qu’en laboratoire. La question est de savoir s'ils résisteront aux conditions difficiles de la mine. » Nous poursuivons notre route vers Mežica (prononcé : medjitsa), un ancien village de mineurs où l’on a exploité le plomb durant des siècles. De manière un peu trop directe, je demande s’il est vraiment nécessaire de venir jusqu'ici - en Belgique, nous avons aussi d’anciennes mines, non ? Giorgia ne se laisse pas facilement démonter. « Nous visons des petites veines avec des minerais hautement concentrés, difficiles à extraire. En Belgique, il y en a beaucoup, mais ces mines sont trop instables ou complètement inondées. Ici à Mežica, la mine est même accessible aux touristes. » « Il y a des toilettes et une bouilloire pour le thé ! », ajoute Christian avec enthousiasme.

Nous traversons des champs de maïs en direction de la frontière autrichienne, que nous devons franchir à deux reprises - entrer, sortir - pas d'autre option avec une chaîne de montagnes pile sur la frontière. Mais lorsque nous devons pénétrer le col de la montagne, une barrière blanche et rouge avec des lumières clignotantes nous fait obstacle. Ni prehoda, pas de passage. Que faire ? C'est la seule route. Derrière nous, quelques autres voitures s'arrêtent également : après un court échange, l’une d’entre elles s’avère être celle du maire de Mežica. Il explique qu'en raison des fortes inondations de l'été dernier, des arbres sur le bord de la route sont devenus instables et qu'il est probable que certains soient encore tombés sur la chaussée. Quelques appels téléphoniques plus tard, il annonce : « Ils viennent ouvrir ! » On peut passer, mais rapidement. En convoi, nous entrons dans le col, par des routes sinueuses qui sont en effet bordées de troncs d'arbres à moitié coupés. Deux heures plus tard que prévu, nous arrivons à la chèvrerie où nous passerons les nuits cette semaine, après de longues journées sans lumière sous terre. Quel endroit idyllique ; quel contraste avec les gadgets de haute technologie que nos géologues vont tester ces prochains jours.

Ancien mineur, Miran Prost emmène désormais les touristes dans la mine. © Siska Van Parys, Institut des Sciences naturelles
La mine de Mežica est mondialement célèbre pour sa wulfénite. © Siska Van Parys, Institut des Sciences naturelles

Tirs au laser

La mine se trouve sous la Peca (prononcé : petsa), une montagne faisant partie des Karawanken, une chaîne de montagnes des Alpes orientales de l'Autriche et de la Slovénie. Elle est mondialement connue pour ses riches gisements de wulfénite, un minéral plombifère jaune à rouge orangé. La plupart des musées d'histoire naturelle possèdent au moins un spécimen issu de Mežica dans leur collection. Le plomb et le zinc sont extraits ici depuis le XVe siècle, et peut-être même à l'époque romaine. Aujourd'hui, dans la montagne de Peca, on peut uniquement faire du kayak souterrain et du VTT. La mine n'est plus active depuis 1994, mais on y accède toujours exactement de la même manière qu'il y a cinquante ans : avec un petit train en bois. Le conducteur du train, Miran Prost, est lui-même un ancien mineur. Il transporte maintenant des touristes au sein de la mine (et cette semaine, des scientifiques !). Le voyage est infernal : quinze longues minutes dans l’obscurité totale, dans un petit wagon fermé pour se prémunir des chutes de pierre. On pourrait envisager un moment de recueillement ou en profiter pour bavarder avec son voisin. Impossible : le bruit est assourdissant. Une fois arrivés, nous nous trouvons à six cents mètres sous la roche. « Heureusement que c'est solide ! », plaisante Prost. Malgré tout, je resserre le harnais de mon casque.

Giorgia vérifie le contact des électrodes avec la paroi rocheuse. © Siska Van Parys, Institut des Sciences Naturelles
Giorgia prend des notes sur les résultats de la numérisation ERT. © Siska Van Parys, Institut des Sciences Naturelles

Christian et Giorgia commencent à installer leurs capteurs. « Nous sommes responsables des yeux et des oreilles du robot », explique Giorgia. « Je travaille avec un bras robotique sur lequel est fixé un module qui nous permet de voir ce qui se trouve derrière la paroi rocheuse », dit-elle en tenant une console de jeu PlayStation en main. Avec celle-ci, elle contrôle le bras et place les « doigts », les capteurs, sur la paroi rocheuse. « Je n’aurais jamais pensé que mes compétences de « gameuse » seraient utiles en tant que géologue ! » Après dix minutes d’intense concentration, elle réussit à presser fermement les huit « doigts » contre la paroi. Soulagement ! Ce contact est essentiel, car l'étape suivante consiste à envoyer de l'électricité au travers de la roche et à mesurer la réponse avec le module ERT (ERT en anglais signifie Tomographie de Résistivité Électrique). « Chaque minéral a sa propre résistivité caractéristique, qui indique à quel point il résiste au courant électrique qui le traverse. La roche est ici composée de dolomite, avec des veines noires et jaunes, de la galène et de la sphalérite. La galène contient du plomb et la sphalérite du zinc. En envoyant de l'électricité à travers la paroi rocheuse, on peut cartographier où les veines minéralisées continuent plus profondément dans la roche. » Ainsi, le robot recueille des informations pour décider dans quelle direction il doit continuer à creuser. « Maintenant, on doit attendre une demi-heure pendant que la machine ERT fait son travail. Je vais nous préparer un thé pour se réchauffer ! »

Il fait en effet froid ici sous terre, environ dix degrés. Un peu de mouvement peut aussi faire des merveilles, alors je pars à la recherche de Christian, qui travaille quelque part avec son laser. Lampe frontale réglée au maximum, je descends l'escalier de fer. Mes pas résonnent dans l'immense puits qui semble infini. La mise en garde du conducteur Miran est encore toute fraîche dans ma mémoire : « Faites attention à ne pas vous perdre. Il y a ici mille kilomètres de tunnels sur dix-neuf étages. Après plus de quarante ans, je retrouve mon chemin partout, mais pas vous. » Juste au moment où je commence à me demander si je ferais mieux de retourner chercher du renfort, j'entends au loin un son rassurant : tatatatata-miiiiiiiiii-tatatatatata-miiiiiiiiiii - le laser ! Petit passage à gauche, je me baisse un instant et fais attention au profond abysse – que peut-il y avoir là en bas ? - je tourne à gauche à nouveau, et au loin, je peux le voir se déplacer de gauche à droite : une grande créature verte montée sur de fines pattes.

Dans la mine du futur, il y aura une multitude de petits robots, et plus aucun être humain ne devra aller sous terre.

- Christian Burlet, Institut des Sciences naturelles -

Christian a l'air satisfait. « Tiens, mets aussi une paire de lunettes ! » Cela semble ridicule de porter des lunettes de soleil avec une lampe sur la tête, mais ce n'est pas pour le style. Le laser chauffe brièvement un petit point sur la surface à une température supérieure à 10 000°C. « Cela peut être dangereux pour les yeux », explique-t-il tout en serrant une minuscule vis. Le capteur que Christian a développé, surnommé « The Frog », est basé sur une technique appelée LIBS : la spectroscopie de plasma induite par laser. « On vise la paroi rocheuse avec un laser et, à cet endroit spécifique, du plasma se forme : une sorte de bouillon d'électrons, de neutrons et de protons. Cela crée une petite étincelle. On capture cette lumière dans l'instrument, qui donne alors la composition chimique de ce point précis. » Je replace mes lunettes solaires un peu plus fermement sur mon visage : je préfère ne pas transformer mes yeux en soupe de plasma. « En scannant la paroi rocheuse point par point, ligne par ligne, nous créons une sorte de carte de la composition chimique de la surface, y compris les matières premières critiques. De cette façon, nous obtenons grâce au robot une image extrêmement détaillée de ce qui se trouve devant nous. »

Christian serre une minuscule vis © Siska Van Parys, Institut des Sciences Naturelles. 
Christian Burlet contrôle le capteur LIBS. En scannant la paroi rocheuse point par point, ligne par ligne, les chercheurs et le robot obtiennent une image détaillée de la surface. © Siska Van Parys, Institut des Sciences naturelles

Vers de terre gourmands

Soudain, il est déjà l’heure de rentrer. Le temps semble s’écouler différemment sous terre – cela a semblé durer une heure et en même temps toute une semaine. Une fois que le petit train nous a ramenés à la civilisation, le soleil est déjà couché. Nous ne l'avons donc pas vu aujourd'hui. Rendez-vous avec l'équipe dans le seul restaurant du coin, notre cantine pour la semaine. On sent qu'on est dans les Alpes -meubles traditionnels en bois, rideaux en dentelle et grands bols de soupe aux champignons sauvages. Je discute avec Milan Milanov, l'un des développeurs associés au projet, et je lui demande ce qu'il fait. « Nous travaillons sur la conscience du robot. Qui suis-je ? Que fais-je ? Comment puis-je m'améliorer ? » La confusion doit se voir sur mon visage, car il poursuit rapidement : « Attends, je vais te montrer. » Sur l'écran de son téléphone portable s’affiche un réseau de galeries sinueuses. « Voilà notre algorithme Greedy en action », explique-t-il fièrement. « Si le robot prend des décisions selon cet algorithme, il se comporte comme un animal affamé. Le plus de minerai possible et le moins de déchets possible. Et c'est exactement ce que nous voulons. » Cela ressemble à un réseau de galeries d'une colonie de fourmis. « Exactement ! Nous nous sommes inspirés d’un tas d'animaux fouisseurs, tant pour la conception du robot que pour son comportement. Pourquoi ne pas profiter de millions d'années d'évolution ? Comme le dit toujours mon chef de recherche : « we can learn from worms! »

 

Une simulation des galeries que le robot creuserait s'il prenait des décisions selon l'algorithme « Greedy ». © Milan Milanov, 4DCoders 

 

Six jours plus tard, la campagne est terminée. Le coffre rempli de cinq kilos de fromage de chèvre et trois litres de miel, nous reprenons la route de l'aéroport. L'ambiance est bonne, les capteurs ont réussi le test dans la mine avec brio. « Nos instruments ont fonctionné, il n'y a pas eu de gros problèmes. Toute l'équipe a été extrêmement serviable. Ça ne pouvait pas mieux se passer. » Christian regarde les montagnes s’éloigner par la fenêtre. « Un groupe hétéroclite de géologues, de roboticiens, d'ingénieurs et de développeurs. Ce n'est qu'en unissant nos forces que l'on peut aller là où personne n'est jamais allé. »

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