Le projet de recherche HOME recommande le rapatriement des restes humains historiques des anciennes colonies belges
Une équipe de recherche multidisciplinaire coordonnée par l'Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB) demande la mise en place d'un point focal pour gérer les informations relatives aux collections de restes humains en Belgique. Le projet HOME recommande également de modifier la loi afin de faciliter le rapatriement des restes humains si il y a une demande et de mettre les restes humains hors commerce.
Les demandes de rapatriement se sont intensifiées dans le monde entier au cours des dernières décennies et la nécessité de réparer et de rapatrier les restes humains conservés dans des institutions publiques et privées est de plus en plus reconnue. Le projet de recherche HOME (Human Remains Origin(s) Multidisciplinary Evaluation project) a été financé par le pilier 2 de BELSPO BRAIN-be 2.0 ''Heritage science'' et a été mis en place suite à des questions sur l'éthique de la présence de restes humains dans le patrimoine fédéral belge et sur la manière dont certains de ces restes ont été appropriés pendant l'ère coloniale.
HOME s'est déroulé de décembre 2019 à décembre 2022 et s'est concentré sur la réalisation d'inventaires des collections de restes humains dans les institutions belges, avec un accent particulier sur les études de cas des différents restes humains du temps historique ou du contexte colonial dans les collections fédérales belges.
Les partenaires de ce projet étaient : l'Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB), le Musée royal de l'Afrique centrale (MRAC), les Musées royaux d'art et d'histoire (MRAH), l'Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC), l'Université Saint-Louis (USL-B), l'Université libre de Bruxelles (ULB) et l'Université de Montréal (UdeM). De courts résumés des résultats de chaque partenaire sont également disponibles.
Restes humains dans les institutions belges
Une enquête sur les restes humains menée par le projet HOME en collaboration avec FARO et le projet de synthèse de l'Agence flamande du patrimoine sur les restes humains archéologiques (MEMOR) a montré qu'un minimum de 30 000 individus humains sont actuellement conservés dans 56 collections (musées, universités et collections privées). La grande majorité de ces restes humains proviennent de collections historiques et préhistoriques.
La plupart des collections historiques provenant de l'extérieur de la Belgique sont des collections de crânes du monde entier qui ont été collectés dans les contextes précoloniaux et coloniaux belges et qui sont conservés à l'IRSNB. Il y a plus de 500 restes historiques de la République démocratique du Congo, du Rwanda et du Burundi qui ont été collectés dans un contexte colonial très problématique. Ils font en grande partie partie des collections transférées du MRAC en 1964-1965.
Il existe également des collections plus modestes provenant d'origines géographiques, d'époques et de contextes différents. Il s'agit de collections archéologiques, de momies, de reliques, d'os incinérés/calcinés, de têtes réduites, mais aussi de nombreux artefacts composés de restes humains (instruments de musique, coiffes cérémonielles, etc.).
Les restes humains ne peuvent être considérés comme des objets et le rapatriement des restes ancestraux peut contribuer à promouvoir la guérison et la réconciliation entre les pays et au sein des communautés. Pour certaines communautés, le rapatriement de leurs restes ancestraux est d'une importance primordiale, alors que d'autres ne souhaitent pas le retour de leurs restes humains, surtout s'il leur est imposé.
Au cours des dernières décennies, plusieurs demandes formelles et informelles ont été formulées en vue du rapatriement de restes humains ancestraux conservés par des institutions scientifiques fédérales belges. Il s'agit notamment d'un squelette tasmanien qui se trouve actuellement à l'Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB) et de deux têtes maories conservées aux Musées royaux d'art et d'histoire (MRAH).
Ces demandes n'ont pas été traitées précédemment, d'une part parce que l'on pensait à l'époque qu'il n'existait pas de cadre juridique permettant de rapatrier ces restes, d'autre part en raison de l'époque à laquelle les demandes ont été formulées, où les restes humains étaient considérés comme précieux pour la science, et enfin en raison d'un manque de connaissances sur la manière de procéder avec de telles demandes.
En 2018, il y a eu une demande de rapatriement du crâne du chef Lusinga depuis la République démocratique du Congo. Cette demande a été adressée par un membre de la famille au roi des Belges et soutenue en 2019 par des membres de la communauté Tabwa, mais n'a jamais été relayée par le gouvernement de la RDC.
L'administration rwandaise a été contactée au cours du projet HOME et le Rwanda a exprimé le souhait de rapatrier les restes humains rwandais associés à une étude de provenance.
En Belgique, un seul rapatriement de restes humains entre la Belgique et la RDC a eu lieu récemment, à savoir le rapatriement de la dent de Patrice Lumumba à des membres de sa famille.
L'un des partenaires du projet (Université libre de Bruxelles (ULB)) a également transféré la propriété de 10 crânes d'origine congolaise détenus à l'ULB à l'Université de Lubumbashi (UNILU) en 2020 en vue d'un rapatriement ultérieur.
Recommandations : politique ouverte en matière de rapatriement
Le projet HOME recommande que les institutions scientifiques fédérales (FSI) aient une politique ouverte en ce qui concerne le rapatriement des restes humains. Les recommandations suivantes peuvent également s'appliquer à différentes institutions publiques et privées en Belgique sur la manière dont elles peuvent gérer leurs collections de restes humains (pré)historiques à l'avenir.
Le projet HOME recommande :
- Des changements devraient être apportés à la loi pour mieux respecter les restes humains, limiter leur commerce et faciliter leur rapatriement. Le rapatriement des restes humains revêt une importance sociétale car il touche à la dignité humaine.
- Nous recommandons que les restes humains ne fassent pas l'objet d'un commerce.
- Les restes humains ne peuvent être considérés comme des "objets" et le rapatriement de restes ancestraux peut contribuer à promouvoir la réconciliation entre les pays et la résilience au sein des communautés. Le rapatriement fait partie d'un processus et/ou d'un
dialogue qui signifie la réparation et le suivi, incluant éventuellement :- Une recherche de provenance conjointe et collaborative avec la Belgique et les pays et/ou communautés d'origine dans le respect de leurs droits culturels;
- Toutes formes de commémoration(s) dans les pays d'origine;
- Des projets de sensibilisation comprenant des politiques et des outils éducatifs en
Belgique et dans les pays d'origine.
- Le rapatriement de tous les restes humains historiques des collections fédérales en rapport direct avec le passé colonial de la Belgique doit être effectué sans que l'État belge ne pose de conditions à leur retour.
- Le passé colonial belge et ses conséquences actuelles doivent être pris en compte dans la gestion des collections coloniales. Ces collections sont directement liées à un contexte spécifique de domination d'un territoire et de ses populations par un État occupant étranger.
- Le rapatriement peut se faire vers les descendants si l'individu est identifié, vers la communauté d'origine ou vers le pays. Un dialogue interne au pays d'origine doit définir le processus de rapatriement.
- En cas de demande de rapatriement émanant de la famille ou de la communauté, l'État belge doit faire preuve de diligence et avertir le pays d'origine, en reconnaissant sa souveraineté. Étant donné l'impact potentiel des processus de rapatriement sur les relations entre les communautés et les familles dans les pays d'origine, il semble important de permettre aux États des pays d'origine de jouer un rôle de médiateur et de consulter leurs communautés d'origine et d'autres citoyens concernés afin de trouver des solutions entre toutes les parties impliquées;
- Le rapatriement effectif s'effectue par le biais d'accords bilatéraux entre l'État belge et l'État d'origine qui déterminent les conditions pratiques du rapatriement des restes humains selon la volonté du descendant et/ou de la communauté d'origine le cas échéant;
- Les processus de rapatriement et le rapatriement effectif doivent être effectués aux frais de l'État belge. Les modalités doivent faire l'objet d'accords bilatéraux;
- Un moratoire doit être observé sur l'étude des restes humains du passé colonial belge qui font partie du patrimoine de l'État belge. Si les restes humains doivent être inclus dans une étude, cela ne doit se faire qu'avec l'accord des descendants, ou des représentants de la communauté ou du pays.
- Ces recommandations peuvent également être appliquées à toute autre collection historique d'origine non belge. Nous recommandons au gouvernement d'être ouvert au rapatriement de tous les restes humains de la période historique faisant partie du patrimoine de l'État et provenant de l'extérieur de la Belgique. Cela inclut le rapatriement du squelette provenant de la Tasmanie et des têtes maories hébergées dans les collections fédérales, qui ont fait l'objet de précédentes demandes de rapatriement. Des lignes directrices pour les bonnes pratiques relatives aux restes humains des périodes (pré)historiques d'origine (non)belge seront bientôt disponibles dans un document séparé après la publication de l'avis sur le statut des restes humains par le Comité consultatif de bioéthique belge
- L'analyse génétique seule n'est pas recommandée pour prouver un lien entre deux personnes ou une communauté et une personne décédée, car les relations familiales ne sont pas toujours basées sur les liens du sang, et d'autres éléments de preuve tels que des éléments sociologiques, historiques et anthropologiques doivent être considérés dans chaque demande.
- Le rapatriement des restes humains n'est qu'une partie du processus. Une recherche détaillée de la provenance pourrait également être d'une importance vitale. Conformément aux recommandations de Restitution Belgium (2021), nous recommandons une augmentation significative du financement de la recherche sur la provenance en Belgique. La recherche sur la provenance doit être un processus collaboratif, mais il reste de la responsabilité des organismes de financement et des décideurs politiques de garantir des fonds et du personnel suffisants pour répondre à ces demandes
- En ce qui concerne les restes humains et les demandes de rapatriement, nous recommandons de promouvoir :
- des bourses de doctorat pour les étudiants des pays d'origine pour la recherche sur les restes humains ;
- des programmes d'échange permettant aux chercheurs des deux pays de travailler ensemble sur la recherche de la provenance et le rapatriement;
- le financement de projets de collaboration avec les pays d'origine dans le but de rapatrier et de partager les connaissances, les histoires orales dans les pays d'origine ainsi que les archives et les informations sur les restes humains eux-mêmes ;
- le financement de projets communautaires axés sur la guérison de la communauté et le rapatriement des restes humains ;
- le financement des anciens pays colonisés pour le retour physique des restes humains;
- la poursuite du financement de la numérisation des documents d'archives en vue d'un partage équitable de l'information.
- Un point focal relatif aux restes humains devrait être mis en place pour fournir toutes les informations aux institutions, administrations, communautés et personnes privées sur le statut et les bonnes pratiques relatives aux restes humains à appliquer en Belgique, et établir un lien avec l'avis du Comité consultatif de bioéthique belge sur le statut des restes humains:
- Le point focal ne centralise pas un inventaire unique des restes humains mais fournit des liens vers les différents inventaires locaux, régionaux et fédéraux des restes humains hébergés en Belgique, ainsi que des informations de contact pertinentes;
- En ce qui concerne le rapatriement des restes humains d'origine non belge, il pourrait :
- centraliser les demandes et les processus de rapatriement;
- s'intégrer dans le processus de rapatriement lui-même en apportant un soutien aux individus, communautés et États d'origine dans la préparation de leur demande et en coopérant avec l'administration des pays d'origine pour mettre en place les conditions pratiques du retour;
- servir d'intermédiaire avec les institutions/individus belges souhaitant rapatrier des restes humains;
- faciliter la recherche de provenance en organisant l'accès aux archives et à la documentation relatives aux collections de restes humains.
- Les activités du point focal pourraient être intégrées dans un "Centre d'expertise pour la recherche de provenance" indépendant plus large.